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Vin biodynamique et produits animaux : où se situe la frontière ?

10/06/2025

Les bases de la biodynamie : agronomie, philosophie et pratiques

Quand on évoque la biodynamie, certaines images reviennent en boucle : vignes soignées sans pesticides chimiques, préparations issues de plantes, soins accordés au sol, respect des cycles lunaires. Depuis près d’un siècle, les principes instaurés par Rudolf Steiner irriguent ce mouvement. Le but ? Redonner à la vigne un lien vivant à son environnement. Le cahier des charges Demeter, principal label, pousse la bio jusqu’à une dimension presque spirituelle, où chaque action s’inscrit dans un équilibre global du vivant (Demeter France).

Mais biodynamie ne veut pas dire exclusion totale des intrants d’origine animale. Le vivant est vu comme un tout interconnecté, qui se nourrit d’éléments minéraux, végétaux et animaux. Exit les engrais chimiques, place au compost enrichi de bouses, cornes et autres matières issues d’animaux. Voilà un vrai décalage avec les attentes vegan. Alors, pourquoi cette place aussi importante des produits animaux ?

Substances animales et biodynamie : dans la vigne, un usage assumé

La particularité de la biodynamie réside dans ses préparations, célèbres pour leur symbolisme et leurs ingrédients. Les plus emblématiques :

  • 500 (bouse de corne) : De la bouse de vache fermentée dans une corne de bovin enterrée tout l’hiver. Elle est ensuite diluée et pulvérisée sur les sols pour dynamiser la vie microbienne.
  • 501 (silice de corne) : Poudre de quartz placée dans une corne de vache, également appliquée en pulvérisation foliaire pour stimuler la photosynthèse.
  • 502 à 507 : Privilégient des macérations de plantes (camomille, millefeuille, ortie, etc.), mais certaines sont enveloppées dans des organes animaux (intestins, vessie de cerf, etc.) lors de la fermentation.

On notera que l’emploi de sous-produits animaux n’est pas marginal, mais central à la méthode biodynamique agricole et viticole (Biodynamie Recherche France). Pour la certification Demeter ou Biodyvin, leur utilisation est d’ailleurs obligatoire. Même si ces matières ne se retrouvent pas physiquement dans le vin, elles participent à tout le cycle du vivant.

Transparence et certifications : bio, biodynamie et vegan, quelles différences ?

Un vin vegan proscrit toute utilisation de produits animaux, à la vigne comme au chai. Mais la réglementation européenne et même les labels bio ne répriment pas systématiquement l’usage de certains intrants d'origine animale, en particulier lors de la vinification.

  • Label Bio (AB ou Eurofeuille) : Autorise certains intrants animaux à la vinification (ex : caséine, albumine d’œuf, colle de poisson...).
  • Label Demeter (biodynamie) : Pratiques animales à la vigne admises et valorisées (composts, préparation 500…), mêmes intrants qu’en bio à la cave, sauf caséine de lait (interdite).
  • Certification Vegan : Aucun produit animal, ni à la vigne, ni dans la cave — une traçabilité stricte, contrôlée par divers organismes (Vegan Society, V-Label, etc.).

Seule la mention “vin vegan” sur la bouteille garantit donc l’absence totale de produits animaux du sol à la bouteille.

La vinification biodynamique : cas des clarifiants et colles animales

C’est souvent lors de la vinification que les consommateurs découvrent l’exclusion des produits animaux chez les vins vegan. Car historiquement, le vin — fût-il issu de culture conventionnelle, bio ou biodynamique — est “collé” pour être clarifié, grâce à plusieurs adjuvants, dont beaucoup sont d’origine animale :

  • Albumine d’œuf (tradition bourguignonne pour les rouges fins)
  • Gélatine (issue de porc ou de bœuf)
  • Colle de poisson (ichtyocolle)
  • Caséine (protéine du lait — non autorisée par Demeter)

Ces produits aident à éliminer les particules en suspension, mais ils ne se retrouvent plus en théorie dans le vin fini puisque filtrés avec les résidus. Malgré cette absence quantifiable (EFSA 2010), le simple fait qu’ils aient été employés suffit à exclure ces vins d’un régime vegan.

En biodynamie, il existe une incitation à la “pureté” des jus, et de nombreux vignerons s’emploient aujourd’hui à éviter ces colles animales, préférant les alternatives végétales (protéines de pois, bentonite, charbon végétal...). Néanmoins, cela reste à la discrétion du producteur, en l’absence de certification vegan.

Le paradoxe biodynamique : éthique animale et vins vivants

Ce point interroge de plus en plus : comment une démarche aussi engagée, centrée sur la santé des sols, l’écosystème et l’équilibre du vivant, peut-elle justifier le recours à des pratiques animales ?

Les producteurs répondent généralement qu’en biodynamie, l’utilisation d’éléments animaux vise à renforcer la fertilité du sol et la vigueur de la plante, dans un cercle fermé et respectueux. Ce recours n’est pas pensé comme une caution à l’élevage industriel, mais au contraire comme une réintégration du cycle naturel, souvent à petite échelle (Vignerons de Terrehaut).

Pour autant, cela peut heurter la sensibilité vegan, qui considère que même le recours “symbolique” à l’animal ou ses restes contrevient au respect total du vivant. D’autant plus que l’origine de ces produits n’est pas toujours clarifiée : s’agit-il d’animaux d’élevages éthiques ? Sont-ils “morts naturellement” ? Cette traçabilité, cruciale pour beaucoup, reste partielle.

L’affichage « vegan » sur les vins biodynamiques : rareté et confusion

Il n’existe pas, à ce jour, de label réunissant à la fois une certification biodynamique officielle et l’assurance d’un vin 100% vegan. Quelques domaines cumulent les pratiques (par exemple, le Domaine Château La Lagune en Bordeaux, ou le Domaine de la Pinte dans le Jura, proposent des cuvées bio, parfois biodynamiques, parfois vegan) mais cela reste très marginal (Terre de Vins, 2021).

  • Les statistiques montrent qu’en France, en 2022, moins de 2% des exploitations certifiées biodynamiques indiquaient de manière publique une compatibilité vegan (Intervino, 2022).
  • Les boutiques spécialisées recensent à peine 80 références de vins français à la fois vegan et biodynamiques, contre plus de 10 000 références en bio ou biodynamie classiques (The Good Wine).

Ce faible nombre s’explique directement par la philosophie biodynamique : difficile de renoncer à la bouse de corne, ou même à la simple corne, élément structurant du mode de culture. Les rares vignerons qui tentent l’aventure doivent s’appuyer sur des substituts végétaux pour dynamiser leur compost ou s’engager à ne pas employer les préparations traditionnelles – ce qui les fait alors sortir du cahier des charges Demeter.

Vers une évolution des pratiques ? Regards croisés et expérimentations

Face à la demande croissante de vins vegan (10% de hausse annuelle des recherches sur Google France entre 2020 et 2023, selon Google Trends), certains acteurs de la filière expérimentent des alternatives :

  • Benthonite et protéines végétales pour la clarification, déjà massivement utilisés dans les vinifications bio et naturelles.
  • Composts entièrement végétaux : des tests menés dans quelques micro-domaines en Allemagne et en Italie montrent qu’il est possible d’obtenir de la vigueur végétale sans intrants animaux, mais ils restent minoritaires et non certifiés Demeter.
  • Proto-certification vegan + biodynamie : pas d’organisme officiel à ce jour, mais des discussions entre syndicats vignerons et associations vegan sont en cours (notamment en Catalogne et dans certaines régions du Val de Loire).

Un frein majeur subsiste : sur le plan agronomique, seules des expérimentations de longue haleine permettront de voir si l’on peut totalement se passer de toute substance animale sans carence du sol ou affaiblissement du végétal.

Quelques conseils pour naviguer entre étiquettes et engagements

  1. Lisez attentivement les étiquettes : seuls les logos “Vegan Society”, “V-Label” ou l’indication explicite “vin vegan” garantissent l’absence totale de produits animaux.
  2. Contactez les domaines : de nombreux vignerons biodynamiques revendiquent des pratiques très propres mais peuvent continuer à employer la bouse de corne ou d’autres préparations animales – il suffit de leur demander.
  3. Privilégiez les vins nature : beaucoup de vins vinifiés sans intrants sont naturellement non collés, donc plus accessibles aux consommateurs végétaliens, mais cela ne garantit rien sur la pratique au vignoble.
  4. Soyez conscients des labels : une certification Demeter ou Biodyvin est souvent incompatible avec le veganisme strict, mais certains domaines approchent de solutions mixtes.

Vins biodynamiques, éthique, et choix de consommation : les nouveaux défis

La complexité des labels et des pratiques viticoles rend difficile, encore en 2024, le mariage parfait entre biodynamie et engagement vegan. Si la vigne biodynamique se veut un chantre du respect de la terre, elle n’exclut pas, dans sa philosophie actuelle, l’emploi de matières animales, que ce soit dans la fertilisation ou parfois, à la cave. La prise de conscience éthique grandissant autour du vivant pousse certains domaines à explorer d’autres voies, plus inclusives des attentes vegan et du bien-être animal.

Face à ces innovations, le rôle du consommateur évolue : s’informer, questionner, soutenir les démarches transparentes et novatrices, ouvrir le dialogue. L’avenir dira si la filière saura concilier ces aspirations et inventer un “vin vivant” accessible à tous les engagements, sans compromis ni sur le goût, ni sur les convictions.

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